par Blaise Cendrars
Quand je pense à Rimbaud, je rigole et c’est à mon tour de vous dire merde !,
ô mes frères, les poètes, de Claudel à Aragon, vous qui avez si mal
traité l’enfant de génie qu’était Arthur que vous avez fait un "cas" de
sa personnalité et de son génie un "problème" comme si vous reluquiez
encore du côté des grands pontifes de l’Université et comme si vous
trembliez toujours sous la férule des pions pour obtenir une bonne note
ou décrocher un diplôme d’intelligence, et, en voulant relire vos
livres, je me suis mis à rigoler de plus en plus fort car que
restera-t-il l’an prochain de vos déclarations et de vos imprimés ? pas
plus que des feuilles que vous avez remplies et dûment souscrites pour
le fisc ! Mais où sont vos revenus d’antan ?... Vous continuerez à payer
la dîme sur des signes extérieurs de richesse qui n’en sont pas, par
pure vanité et comme si vous écriviez pour ces gens-là. Et la poésie,
mes amis ? Elle se fiche de vous et Rimbaud s’est tu. C’est bien le seul
tort qu’il ait eu et le seul reproche que je lui fasse. Un homme fort
oublie son passé. Il aurait dû revenir, se taire encore ou se remettre à
écrire, mais alors tout autre chose. Qu’auriez-vous fait, vous, sinon
le vide et le silence autour de lui ? Sa seule présence vous aurait
épouvantés.
5 mai 1938